La collecte de données pendant une pandémie: Les entrevues avec les fournisseurs de service pour le projet Vieillir au bon endroit.

May 13, 2021

Émilie Cormier & Diandra Serrano    

English: Montreal’s Experiences Conducting Virtual Service Provider Interviews

Comme mentionné dans un précédent billet, la collecte de données pour le projet Vieillir au bon endroit (VABE-financé par CMHC & SSHR) a débuté à l’automne 2020. Le projet qui rassemble des équipes de chercheuses et chercheurs à Vancouver, Calgary et Montréal s’articule autour de quatre types de collecte de données; (1) une revue de documents anonymisés, (2) un audit de l’environnement, (3) des entrevues avec les fournisseurs de service et (4) des entrevues avec les usagers du service. La complémentarité des outils de collecte de données vise à recueillir de l’information sur différents aspects des pratiques prometteuses à l’étude dans le but de découvrir ce qui supporte un vieillissement considéré comme “au bon endroit” chez les individus vivant en situation d'itinérance ou vivant une précarité domiciliaire. Un cadre conceptuel réunissant des éléments issus de la littérature entourant le fait de vieillir au bon endroit a été adapté à la réalité des personnes âgées en situation ou à risque d’itinérance pour guider l’analyse des données recueillies.  

 

Au cours de l’automne les équipes des trois villes ont re-planifié les méthodes de collectes de données pour s’adapter à la réalité pandémique actuelle en s’inspirant des pratiques de leurs communautés de recherche respectives. Le recours à la visiophonie a été envisagé comme solution de rechange aux entrevues en personne. Toutefois, alors que des ressources pouvaient rapidement et relativement simplement être déployées pour les entrevues et que la révision des documents anonymisés pouvait suivre son cours, la conduite de l’audit de l’environnement posait un défi particulier si les mesures sanitaires ne permettaient pas la présence physique des auxiliaires de recherche sur les lieux de la pratique prometteuse puisque cette méthode de collecte de données repose sur l’observation directe, détaillée et exhaustive de l’environnement physique. Des mesures ont donc été prises pour permettre aux auxiliaires de recherche d’être adéquatement protégés et d’assurer que leur présence sur les lieux de la pratique prometteuse soit sécuritaire pour les usagers. Alors que l’équipe de Vancouver a été en mesure grâce à ces précautions de compléter l’audit de l’environnement, la progression de la COVID-19 a bousculé les plans de notre équipe à Montréal et nous a amenés à réviser l’ordre prévu de la collecte de données. Ainsi, bien qu’initialement nous devions reproduire la séquence suivie par l’équipe de Vancouver, une nouvelle période de confinement nous a obligés à reporter l’audit de l’environnement puisque l’accès aux bâtiments accueillant la pratique prometteuse a soudainement été limité. Suite de ces nouvelles restrictions sanitaires, la décision a été prise à la suite de la revue des documents anonymisés de procéder aux entrevues avec les fournisseurs de service travaillant à la pratique prometteuse et de remettre à plus tard, une fois les restrictions sanitaires levées, l’audit de l’environnement. Les entrevues avec les fournisseurs de services de Montréal ont donc été conduites en ligne à la fin du mois de février. 

 

Malgré les avantages évidents que les technologies de visiophonie offrent en contexte de pandémie, un certain défi quant à la création d’un lien de qualité avec les interviewés au cours d’une entrevue en ligne a tout de même été anticipé par les auxiliaires de recherche. 

 

Nos présupposés relatifs à la difficulté à créer un lien lors des entrevues en ligne ont toutefois été largement démentis par notre expérience. Il semble même que la conduite des entrevues en ligne ait potentiellement renforcé notre capacité à créer du lien. Weller (2017) mentionne que dans certains contextes, la médiation de la communication entre l’interviewer et l’interviewé à travers les outils technologiques facilite une connexion plus intime en donnant une impression de proximité libérée du poids que peuvent ressentir certains participants en co-présence. La rencontre en ligne égalise le rapport entre l’interviewer et l’interviewé. Elle peut être perçue comme moins stressante et intrusive pour les participants. Elle s’apparente davantage à une rencontre informelle entre pairs, d’autant plus que contrairement à l’entrevue en personne au cours de laquelle le microphone posé sur la table rappelle constamment l’enregistrement en cours, le dispositif en ligne se laisse facilement oublier. Bien entendu, cette aisance à conduire une entrevue en ligne varie selon le confort des chercheurs et des interviewés au regard des technologies de visiophonie (Lo Lacono et al., 2016). En contexte de pandémie, alors que le télétravail est devenu la norme, il est fort à parier que ces variations en ce qui concerne le niveau de confort à conduire une entrevue en ligne étaient moindres. Même les aléas technologiques ont apporté leurs bénéfices insoupçonnés en permettant de reconstruire et solidifier le lien lorsqu’en cours d’entrevue la connexion internet devenait instable ou qu’un écho rendait la compréhension difficile ce qui obligeait les deux parties à s’ajuster et à s’écouter avec une attention renouvelée (Weller, 2017). 

 

Finalement, de ce qui pourrait être considéré de prime abord comme une malheureuse contrainte semble avoir émergé certains bénéfices et opportunités. C’est un lieu commun en recherche qualitative que de parler de l’importance d’établir un lien de qualité avec l’interviewé lors des entretiens pour s’assurer d’accéder à une richesse de données (Gaglio et al., 2006). L’entrevue en ligne en favorisant le développement d’un tel lien nous permet donc de dégager des bénéfices évidents en ce qui a trait à la collecte de données issues de la rencontre même (Weller, 2017).  Il est toutefois envisageable que dans le contexte d’un projet de recherche reposant sur une multitude de méthodes de collecte de données les gains s’étendent au-delà du cadre de l’entrevue (Gaglio et al., 2006). En établissant un lien de qualité avec les individus œuvrant au sein d’un organisme, c’est le lien à cet organisme en entier, son ouverture à la recherche et à la présence des chercheurs sur le terrain que l’on développe (Gaglio et al., 2006). Alors que les mesures mises en place par Québec s’assouplissent et qu’il devient envisageable dans un avenir rapproché de mettre les pieds sur les lieux de la pratique prometteuse, les rétroactions positives des employés interviewés et leur enthousiasme quant à leur expérience d’entrevue nous laisse entrevoir comment le processus de l’audit de l’environnement et celui du recrutement des usagers seront possiblement facilités par ce premier lien qui a été créé. Dans le contexte pandémique où les fournisseurs de service sont débordés et que nous leur demandons de nous accueillir dans un quotidien déjà bien chargé, la qualité de ce lien représente certainement un atout précieux (Gaglio et al., 2006). Ultimement, c’est toutes les démarches de recherches auprès de cet organisme qui seront potentiellement influencées par la qualité de ces liens qui ont été tissés. En ce sens, au cœur même de certains aspects de la collecte de données qui peuvent sembler éloignées des impacts que peut avoir la recherche sur l'expérience du vieillissement pour les personnes âgées en situation ou à risque d’itinérance, se trouvent des clés pour justement assurer la pérennité de la nécessaire recherche visant à soutenir cette population.

 

Références

Gaglio, B., Nelson, C. C., & King, D. (2006). The role of rapport: Lessons learned from conducting research in a primary care setting. Qualitative Health Research, 16(5), 723-734.

Lo Lacono, V., Symonds, P., & Brown, D. H. (2016). Skype as a tool for qualitative research interviews. Sociological Research Online, 21(2), 103-117.

 

Weller, S. (2017). Using internet video calls in qualitative (longitudinal) interviews: Some implications for rapport. International Journal of Social Research Methodology, 20(6), 613-625.

Salmons, J. (2014). Qualitative online interviews: Strategies, design, and skills. Sage Publications.