Date

Le
Très Honorable Stephen Harper,
Premier Ministre, Chambre des Communes,
Ottawa, ON  K1A 0H6, Canada

Cher Premier Ministre,

 Cette année annonce le dixième anniversaire de la Loi sur les espèces en péril du Canada (la LEP). La première décennie de la LEP a produit des résultats mitigés pour les espèces en péril au Canada. Malgré certains indices encourageants, plusieurs problèmes chroniques persistent, mais nous sommes convaincus que ceux-ci peuvent être résolus par l’entremise d’une meilleure mise en œuvre des dispositions existantes de la LEP. Compte tenu du fait qu’il n’existe aucune preuve que les problèmes documentés proviennent de la LEP elle-même, nous nous opposons à la réouverture de cette loi fédérale.

 La perte d’habitat est la principale cause du déclin des populations de plus de 80% des espèces en péril au Canada. En accord avec cette preuve scientifique, la LEP requière la protection adéquate de l’habitat et fournit des outils et des incitatifs permettant l’identification et la protection de l’habitat nécessaire au rétablissement des espèces. Il est évident que ces outils sont largement sous-utilisés; la LEP a fournit une protection légale de l’habitat pour seulement 24 des 381 espèces présentement inscrites à la LEP et  identifiées comme étant menacées, en voie de disparition ou disparues, mais pouvant être rétablies. Toutefois, d’autres mécanismes, tel le Programme d’intendance de l’habitat pour les espèces en péril, un programme fédéral créé en lien avec la LEP, ont apporté des bienfaits importants en fournissant des capacités sur le terrain pour le rétablissement des espèces, ainsi que des incitatifs de conservation pour les propriétaires fonciers.

 En vertu de la LEP, l’identification du statut d’une espèce est faite sur la base de preuves scientifiques évaluées par un organisme scientifique indépendant et hautement crédible, soit le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada. Le gouvernement décide ensuite de suivre ou non l’avis scientifique du Comité. Ce processus assure que le Cabinet a accès à l’information scientifique la plus fiable possible sur laquelle baser sa décision. La LEP comprend également l’exigence d’identifier l’habitat essentiel des espèces en péril, ce de manière scientifique, laquelle est assujettie de considérations concernant le niveau de protection requis et la façon de le mettre en oeuvre. Cette séparation claire entre la science qui informe la décision et la décision elle-même est cruciale, autant en ce qui a trait à la transparence et à la responsabilité du gouvernement à l’égard du public : c’est l’une des grandes forces de la LEP.

 Nous sommes donc particulièrement préoccupés par tout projet de modification de la LEP qui viendrait confondre les éléments scientifiques et non-scientifiques de la prise de décision en ajoutant la considération de facteurs socioéconomiques au processus décisionnel scientifique. La LEP fournit de multiples occasions, à plusieurs étapes de sa mise en œuvre, d’aborder les questions de l’emploi et de l’économie. Notamment, le Cabinet peut (et le fait régulièrement) refuser d’inscrire une espèce à la liste, ce qui a pour effet de refuse toute protection à cette espèce en vertu de la LEP. Les facteurs socioéconomiques sont également considérés de façon explicite à l’étape du Plan d’action, étape durant laquelle le gouvernement décide de la façon de protéger une espèce en péril. Toutefois, la question à savoir si une espèce est en péril ou non (ce qui est déterminé à l’étape du processus d’inscription des espèces), ainsi que ce qui définit l’habitat essentiel connu d’une espèce (ce qui est déterminé à l’étape du rétablissement) relèvent strictement de considérations scientifiques. La responsabilité à l’égard du public exige que lorsque des décisions sont basées sur des considérations qui dérogent de la preuve scientifique, ces considérations, la preuve scientifique elle-même, ainsi que la nature de la dérogation doivent être présentées de façon claire et transparente.

 Nous sommes d'accord avec le président to la Societe Canadienne pour l'Ecologie et l'Evolution, qui vous a ecrit que la plupart des problèmes associés à la LEP peuvent être attribués directement  au manquement du gouvernement de respecter plusieurs obligations légales de la LEP. Les gouvernements successifs ont omis d’adhérer à l’obligation, en vertu de la LEP, de decider d'inscrire à la liste les espèces désignées sur des bases scientifiques pour la protection. Ils ont ignoré les échéances prescrites pour les decisions d'inscription, et ils ont ignoré les échéances prescrites pour la complétion des programmes de rétablissement, ainsi que l’obligation d’identifier l’habitat essentiel à partir de l’information scientifique la plus fiable possible. En dernier recours, la société civile a fait appel au litige afin de forcer la conformité avec la LEP et le gouvernement n’a obtenu, en aucun cas, gain de cause. Tel qu’un juge l’a noté en 2009 dans un dossier concernant le Naseux de Nooksack : « en l’espèce, il est question de l’élaboration et de la mise en application d’une politique par le ministre en contravention manifeste de la loi et de la réticence à être tenu responsable de cette omission de respecter la loi. »

 Ce manquement à la mise en œuvre menace la survie-même de plusieurs espèces au Canada, ce qui va à l’encontre de la raison d’être de la LEP. Par exemple, la Chouette tachetée du Nord, une des premières espèces inscrites à la LEP, est passé d’une population d’environ 500 paires à seulement 12 oiseaux sauvages, ceci en raison de l’exploitation forestière de son habitat de forêt mature. Les dispositions en vertu de la LEP permettent au gouvernement d’émettre des décrets d’urgence afin de prévenir d’autres pertes d’habitat, mais le gouvernement refuse d’agir. La population du Tétras des Armoises, une espèce autrefois si abondante qu’elle était considérée comme gibier, diminue de 50% par année depuis les dernières six années et compte aujourd’hui moins de 100 individus. Ce déclin est en grande partie dû à la perte d’habitat causée par le développement pétrolier et gazier. En dépit de cette situation désastreuse, le gouvernement fédéral n’a identifié qu’une fraction des habitats essentiels comme devant être protégés et aucun décret d’urgence n’a été émis. Dans le cas du Naseux de Nooksack – un petit poisson affecté par l’agriculture commerciale dans la Vallée de la rivière Fraser, en Colombie-Britannique – le gouvernement a illégalement supprimé l’habitat essentiel de l’espèce du programme de rétablissement, et ne l’a rétablit qu’après avoir reçu l’ordonnance de le faire par les tribunaux. Malgré ceci, plusieurs années après l’échéance légale spécifiée dans la LEP, l’habitat essentiel de cette espèce n’est pas encore protégé.

 La LEP a été adoptée parce que les canadiens ont à cœur le patrimoine biologique du Canada. Le manquement du gouvernement fédéral face à ses obligations légales en vertu de la LEP augmente le risque que des éléments importants de cet héritage soient perdus – à jamais. Le gouvernement doit mettre en œuvre les dispositions de la LEP selon l’intention de ses législateurs et selon les attentes des canadiens en élaborant des solutions qui répondent aux préoccupations des parties concernées tout en assurant la conservation du patrimoine biologique du Canada.
 
Sincèrement,


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