MENU

ARTICLE

Marcher pour com-prendre. Plurilinguismes et recherche inter(alter)culturelle par la recherche création : Pour une esthétique incarnée du relationnel

27/11/25

Cet article est traduit et adapté du numéro d’Education Research Matters (SFU, Novembre 2025), qui a mis en lumière les travaux de Dre Danièle Moore, dont la recherche tisse des liens entre plurilinguismes, éducation aux langues et formation des enseignants, en se fondant sur des démarches de recherche-action-création-formation, liant expression artistique et éthique interculturelle pour (re)penser les interculturalités.

Dans son travail, Dre Moore nous invite à repenser ce qui constitue le savoir, ainsi que les manières dont nous comprenons le/nos monde(s) et apprenons avec autrui. Son récent chapitre de livre, Walking Our Landscape as Interculturality: A Visual Essay in Resonances (Moore, 2024), est une exploration autobiographique de la marche et de la cartographie en tant que modalités relationnelles et esthétiques de connaissance. Entre biographie langagière, exploration visuelle et plurisensorielle du lieu, mises en images et poétique plurilingue, elle éclaire une approche de la formation en éducation comme pratique relationnelle, sensorielle et éthique.

Pour Danièle Moore, le plurilinguisme et les interculturalités ne sont pas de simples objets d’analyse, mais des manières d’être au monde. Elle rejette les notions de langue, de plurilinguisme ou de culture comme des objets figés ou normés; elle les envisage plutôt tels des origamis en constante transformation, façonnés par les interactions entre personnes, langues, (H)/histoires et territoires. Marcher notre paysage est, selon elle, à la fois un geste littéral et métaphorique : un mouvement à travers les lieux et leurs significations, un acte d’écoute attentive des récits enfouis dans nos paysages, souvent ignorés ou réduits au silence.

Les langues et l’éducation aux langues occupent une place centrale dans ses travaux. Ayant vécu au carrefour de seuils linguistiques et culturels – des Alpes françaises, italiennes et suisses aux territoires non cédés des peuples Salish de la côte ouest du Canada – elle décrit les langues comme voix et silences, héritage et perte, échos et métamorphoses. Pour elle, le langage n’est pas seulement un objet de transmission; il est résonance, vibration entre les locuteurs et les mondes qu’ils habitent. Dans son écriture poétique plurilingue, le français, l’arpitan (langue de sa mère), l’italien (langue de son père), le japonais, le chinois, l’anglais, le tahitien et langues autochtones de la côte ouest, se rencontrent, dansent et s’entrelacent, façonnant mutuellement rythmes et silences. Cette perspective relationnelle fait du plurilinguisme en une pratique d’attention, de soin et de présence au monde.

Son orientation méthodologique puise dans les traditions de recherche artistique, en particulier la Ca/r/t.ographie, qui combine les rôles d’artiste, de chercheur·e·s et d’enseignant·e.s, et où la marche et la cartographie deviennent modes d’enquête esthétique, de pratique créative et d’enseignement. En collaboration avec étudiant·e·s et partenaires communautaires, elle explore comment l’expérience sensorielle, la création artistique et le dialogue peuvent réinventer identités, langues et sentiments d’appartenance. Les participant·e·s utilisent applications et plateformes en ligne, telles que Whose LandÍmesh et Padlets, pour documenter paysages linguistiques, peintures murales, toponymes autochtones et sons de leur environnement local. Ces collections de photographies, de notes réflexives et de cartes deviennent alors des chemins d’apprentissage partagé – des archives vivantes qui relient les expériences personnelles aux dimensions historiques et (inter)culturelles des lieux.

Sa méthodologie repose sur une responsabilité relationnelle et éthique. Danièle Moore s’inspire également de principes autochtones tels que Ímesh (« marcher » en Sḵwx̱wú7mesh snichim) et Etuaptmumk (du Mi’kmawi’simk « voir le monde avec deux yeux » ou selon plusieurs horizons), qui valorisent l’apprentissage partagé entre savoirs diversement situés. La marche devient alors une forme méditative d’apprentissage avec les autres – humains et plus-que-humains – fondée sur la présence, l’écoute et la responsabilité mutuelle. Dre Moore reprend aussi la notion philosophique chinoise de xuanfu (suspension, au sens de « suspendre et flotter »), qui invite à rester dans l’incertitude et à laisser le temps aux questions de se déployer, une posture méthodologique attentive et éthique dans un monde académique souvent pressé par la rapidité et les certitudes.

En intégrant cartographie sensorielle, narration numérique et poétique plurilingue, les travaux de Danièle Moore étendent les frontières de la recherche qualitative. Les données ne se limitent pas au texte : elles peuvent se manifester par le mouvement, le son, la résonance et la co-création. La recherche devient alors un processus vivant et collaboratif, où la mise (en)quête est conversation et co-construction de sens, privilégiant imagination, réciprocité et intranquillités.  « Walking Our Landscape as Interculturality » signifie, selon Moore, reconnaître que com-prendre est toujours un acte relationnel : apprendre à se mouvoir avec les autres, à écouter les résonances, les vibrations et les silences, à regarder les ronds dans l’eau, à se laisser (trans)former par l’expérience partagée.

Référence

Moore, D. (2024). Walking our landscape as interculturality: A visual essay in resonances. In F. Dervin (Ed.), The Routledge Handbook of Critical Interculturality in Communication and Education (pp. 308–328). Routledge.

Autres travaux récents

Araújo e Sá, H.; Dantas, L., Moore, D., & Carinhas, R. (sous presse). C.art.ography, freedom and democratic citizenship. In P. Kalaja, S. Meló-Pfeifer, & V. Tavares (Eds.), The Routledge Handbook of Arts-Based Approaches in Applied Language Studies. Routledge.

Araújo e Sá, Carinhas, R. & Moore, D. (sous presse). Le plurilinguisme, mise en quêtes inquiétante pour faire et être en recherche en didactique des langues. Dans L. Gajo, L. & A-Cl. Berthoud (dirs.), Aux marges du monolinguisme : enjeux des langues pour le monde de la science. Presses polytechniques et universitaires romandes, Collection Epistémé.

Moore, D.; Arias, S. & Beddouche, L. (sous presse). Paysages linguistiques, cartographisations et transformations en éducation plurilingue. Revue Multimodalités, 22https://revuemultimodalites.com/volumes

Moore, D., Forte, M., Creach, Cl., Cormack, M., Keddie, B. (2025). Polyethnographie visuelle et transformations altéritaires d’identités professionnelles plurilingues. Recherches en didactique des langues et des cultures. Recherches en didactique des langues et des cultures/Les Cahiers de l’Acedle, 23(1). https://doi.org/10.4000/13xl8

Facebook
Twitter
LinkedIn
Reddit
SMS
Email
Copy